Le Finistère, entre mythe et réalité

Le Finistère est selon toute vraisemblance le département français le plus aisément repérable sur une carte de l’hexagone, et aussi l’un de ceux, après la Vendée peut-être, dont l’identité est perçue comme la plus forte. La littérature romantique en a fait une sorte d’ « hyper-Bretagne », un conservatoire des plus antiques traditions, une terre d’insondables mystères dévolue aux cérémonies druidiques, aux immuables rituels des pardons paroissiaux, aux usages criminels des naufrageurs du Pays Pagan…

Son paradoxe pourtant est qu’il est sans doute plus le produit d’un regard extérieur qu’une réalité vécue et revendiquée par ses habitants. A Saint-Pol-de-Léon, Carhaix ou Briec, on est breton, pas finistérien. En vérité, ce département pose un problème spécifique dont il convient de dire un mot. La Bretagne s’est constituée, entre le IVe et le VIIe siècles, sur deux axes de développement horizontaux, l’un septentrional, l’autre méridional. Il y avait, au nord, le royaume de Domnonée, qui s’étendait peu ou prou du bas Léon jusqu’aux confins de l’actuelle Ille-et-Vilaine, et au sud les royaumes de Cornouaille et de Bro Erec (pays vannetais), dont l’influence se faisait sentir jusqu’à la presqu’île de Guérande.

En dépit du morcellement politique et religieux qui a suivi durant le moyen âge (comtés, diocèses…), ces axes de développement, qui suivaient les voies de communication, ont perduré jusqu’à nos jours. Encore aujourd’hui, le Léon est tourné vers le Trégor costarmoricain tandis que la Cornouaille regarde vers le vannetais morbihannais. Pourtant, le département du Finistère, à la révolution française, s’est constitué sur un axe vertical nord-sud purement artificiel, qui a entraîné une déconnection très contreproductive entre la nouvelle organisation administrative et les ancestrales dynamiques territoriales de développement et de solidarité.

Le juriste Jacques Baguenard, récemment disparu, l’affirmait sans ambages dans le numéro de février 2014 du magazine Bretons : le Finistère est un département « mal fichu ». De fait, il tend à faire de la pointe armoricaine une sorte de Far West dédié aux activités touristiques et à l’économie du troisième âge. L’intérêt des Finistériens ne serait-il pas dès lors que le Finistère disparaisse ? Casser le carcan départemental, ne serait-ce pas permettre aux logiques territoriales naturelles de retrouver toute leur vigueur, en considérant par exemple que la prospérité future de la Cornouaille dépend moins de son intégration dans l’orbite de la métropole brestoise que des liens privilégiés qu’elle saura tisser avec les grandes cités de la Bretagne méridionale – Lorient, Vannes et Nantes ? Poser ces questions, c’est déjà y répondre…